Les insiders contestent pour garder leur pré carré
Tout a commencé le 19 juin dernier, lorsque l’Assemblée nationale vote en première lecture le projet de loi « avenir professionnel ». Parmi les amendements adoptés, l’ouverture du recrutement aux contractuels pour les postes de direction des collectivités (source : senat.fr). Etonnante décision ! La démarche interroge sur l’empressement du gouvernement à légiférer dans l’urgence et la confusion. La réaction des différents acteurs de la fonction publique territoriale ne s’est pas fait attendre.
Un statut à maintenir avant tout
Parmi les opposants à l’élargissement du recrutement des postes de direction par la voie de la contractualisation, les directeurs généraux de services, représentés par le Syndicat national des secrétaires généraux et directeurs généraux de collectivités territoriales (SNDGCT) mais aussi l’Association des DRH des grandes collectivités (ADRHGCT). Cette ouverture remet en cause selon eux deux principes fondamentaux :
- Le principe de l’égalité d’accès aux emplois publics
- Le principe de l’exclusivité de recrutement sur les postes de direction pour les titulaires de catégorie A.
Le recrutement direct : pas une révolution
Le recrutement direct dans la fonction publique territoriale n’est pas un concept nouveau, à en voir la liste des emplois déjà concernés (article 47 de la loi du 26 janvier 1984) :
- Directeur général et directeur général adjoint des services des départements et des régions ;
- Directeur général des services des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 80 000 habitants ;
- Directeur général adjoint des services des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 150 000 habitants.
Dans l’hypothèse d’une extension à l’ensemble des postes de directeurs généraux des services, nos insiders titulaires seront mis en concurrence directe lors de futures vacances de postes. On comprend leur inquiétude !
Assouplir les règles… quand il s’agit du recrutement des autres !
Les mesures innovantes de l’ADRHGCT
Ne pas s’opposer, mais encadrer. C’est l’idée générale qui ressort de la position de l’ADRHGCT. Celle-ci souhaite reconnaitre la place du contrat dans les voies d’accès au recrutement mais à condition qu’il soit encadré. Les mesures proposées mettent un véritable coup de pied dans la fourmilière (source : drh-attitude.fr) :
- Elargir le recrutement des emplois permanents à la catégorie B dès lors que le besoin n’a pas pu être pourvu par un fonctionnaire
- Elargir le recrutement direct sur titre, donc sans concours, au 2ème niveau des emplois de la filière technique en catégorie C : c’est un point important car certains métiers d’agents sont en tension
- Elargir le recrutement direct aux collaborateurs de toutes catégories exerçant des professions réglementées qui doivent doubler leurs examens professionnels par des concours d’accès pour bénéficier de leur titularisation.
Le pragmatisme des DRH apparaît clairement ici puisque ces propositions ont toutes pour objet de simplifier et d’optimiser l’accès à la fonction publique territoriale pour des catégories de personnels finalement très nombreuses et indispensables au fonctionnement de nos collectivités.
Pas de contre-propositions claires
Face au pragmatisme des DRH, et à leurs entorses massives au recrutement par voie de concours, les défenseurs du vieux modèle font valoir la règle. C’est pourquoi l’ANDGCT et le président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), Philippe Laurent, s’opposent formellement aux dispositifs d’assouplissement proposés, sous prétexte qu’ils font une transgression au principe de l’égalité d’accès aux emplois publics. Quelle solution alors ? Peut-être l’une des voies suggérées par Monsieur Laurent pour qui « la vraie question c’est celle du périmètre du service public…» (source : philippe-laurent.fr).
Fin de la précarité : mission impossible ?
Doit-on assurer la continuité des services publics en acceptant une situation de précarité légale ? L’ADRHGCT pointe du doigt la pratique des collectivités en matière de remplaçants temporaires à horaires variables qui contribue à maintenir de nombreux collaborateurs dans la précarité.
Mais comment respecter le cadre légal lorsqu’il faut faire face à l’absentéisme et au temps de travail déjà important des permanents titulaires ? Faux contractuels permanents de catégorie C, faux vacataires sont quelquefois maintenus en poste pendant de longues années avant de se voir, dans quelques cas très rares, proposer une titularisation. Point de concours ou de recrutement direct pour ceux-là, seulement attachés à la mission du lendemain et à la paie du mois suivant.
Pour sortir du problème, les DRH des grandes collectivités préconisent de sécuriser les emplois répondant à des besoins irréguliers mais récurrents en imposant un plancher minimum de 0.3 ETP (équivalent temps plein) et ouvrant droits à une CDisation au terme de 6 ans. Autant dire que de telles mesures laissent la porte grande ouverte à une précarité continue et durable. Tout ça pour assurer la quiétude morale de la collectivité publique…
Gageons que ces nombreux interlocuteurs, insiders, pragmatiques et précaires passeront outre leurs propres intérêts pour trouver une solution efficace et cohérente capable de garantir à tous l’accès aux collectivités, ce bien commun qui nous est cher.